La complainte du chômeur (Daniel FLAUGNATTI)
A tous les exclus, les « accidentés de la vie », les chercheurs d’emploi, bref à tous les chômeurs
Ecoutez la complainte du pauvre chômeur,
La sourde litanie,
La douleur infinie,
Ecoutez, je vous prie, cette longue clameur.
L’usine lentement disparaît dans les ronces,
Comme mes souvenirs.
Je n’ai pas d’avenir,
A toutes mes questions, je n’ai pas de réponse,
Il me revient parfois, comme une chanson douce,
L’écho de l’atelier,
Les chants des ouvriers
Noyés dans les bières blondes gonflées de mousse.
Et de plus loin encor, j’entends souvent mon père,
Me montrer fièrement
Sa médaille d’argent
Pour les vingt cinq années de travail salutaire.
La ville résonnait au rythme de l’usine,
Et si parfois la grève
Se terminait en trêve,
Le silence souvent recouvrait les machines.
Et lorsque le patron, père et maire de droite,
Bien sûr sans étiquette,
Nous offrait la piquette,
Nous serrions en tremblant sa main blanchâtre et moite.
Nous regardions envieux la superbe bâtisse,
Les belles colonnades,
Le ruisseau en cascades,
Le nom en lettres d’or gravés en frontispice.
Et puis ils sont venus, en costumes trois pièces,
Traversant le hangar
Sous le regard hagard
De tous les ouvriers ravagés de tristesse.
Et depuis quelques mois, nous ne voulions savoir,
Le rythme au ralenti,
Les rumeurs démenties,
Et depuis quelques temps, nous ne voulions pas voir.
Je m’en souviens encor, ce faut au mois de juin,
Je reçu au courrier
Un étrange papier
Daté, séché, signé par notre châtelain.
Je ne comprenais pas car j’étais en congés,
Prêt à rejoindre enfin
La mer du Cotentin,
A regarder la mer, sur la sable allongé.
Nous étions quatre-vingt ouvriers sacrifiés,
Le loyer impayé,
Les factures noyées
Dans les publicités du bel hypermarché
O bien sur, la prime d’ancienneté versée
Illumina nos yeux.
Ces chiffres merveilleux,
Comme trois chevaux gagnants dans un très beau tiercé.
Ma femme a disparue, et mon enfant avec,
Je n’ai plus de permis,
Où sont tous mes amis,
Brûlés au sel acide de mes sanglots secs ?
Et à l’ANPE, on m’a bien expliqué
La flexibilité
Et la mobilité
J’ai fais un beau CV, je me suis appliqué.
J’ai écris tous les jours, j’ai écris quatre jours
Aux quatre entreprises,
Elles ne m’ont pas prises,
J’ai crié, j’ai pleuré, appelé au secours.
Et puis ils m’ont radié, irradié au soleil,
De ma désespérance.
Et je brûle en souffrance
Des feux fous de la bouteille aux couleurs vermeilles.
Je sombre lentement dans la résignation,
Je vote national,
A la municipale,
Et je lève le sabre et puis le goupillon.
Le café a fermé, l’école a disparue,
L’unique épicerie
De mon copain Ali
Reste ouverte tard, la nuit, au coin de ma rue.
Et puis le RSA, les sacs alimentaires,
Les regards de pitié,
Et mon honneur broyé
Obligé de me taire, obligé de me taire…
Demain je vais fêter mes cinquante-deux ans,
Un beau feu d’artifice
L’ultime sacrifice
De mon âme blessée, mon corps agonisant.
Je ne sais pas encor, de l’arabe ou du maire
Qui sera le coupable.
J’ai posé sur la table
Les armes de mon père ainsi qu’un revolver.
J’ai perdu la raison, l’alcool brûle mon corps,
Et la télévision,
Pendant le réveillon
Hurle des chants d’amour dans un joyeux décor.
Je ne demandais rien, juste un peu de travail,
Me lever le matin,
Toucher mon bulletin,
Peut-être recevoir, un jour, une médaille.
Je ne demandais rien, finir tout simplement
De payer ma maison,
Saison après saison,
Et puis tout doucement, vieillir très lentement.
Je ne sais pas écrire, et je sais très peu lire,
A l’école autrefois
Je m’enfuyais parfois
Sous les coups de bâton, blessé à en mourir.
Je ne sais plus parler, je bafouille des sons,
Je ne me lave plus,
Ma tête chevelue
Ressemble étrangement aux pics d’un hérisson.
Je n’ai plus de désir, la mort hante mon corps,
Comme un cancer caché
Et qui soudain craché,
Explose par la bouche en un rouge haut-le-corps.
Dites-moi, vous lecteur, tout ce que je dois faire ?
Donnez-moi s’il vous plaît
De quoi panser ma plaie,
De quoi recommencer, comme avant, comme hier.
Et je ne comprends rien à la télévision,
La mondialisation,
Et les reconversions
Et les grands bienfaits de la privatisation.
J’étais bien, vous saviez, dans mon aliénation,
Il faut bien travailler,
Et j’étais le premier
A entrer dans l’usine avec admiration.
Ils parlent de contrat, contrat nouvel embauche,
Je ne demande rien,
Qu’un poste de gardien
Un simple CDE, contrat dernière embauche.
L’usine lentement disparaît dans les ronces,
Comme mes souvenirs.
Je n’ai plus d’avenir.
A toutes mes questions, je n’ai plus de réponse,
Daniel FLAUGNATTI, syndicaliste SNU, Agence Vernouillet, Reims
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Stéphanie HILAIRE
Paul,
Pôle Emploi
Pôle existe, Paul résiste
Il fusionne, se questionne,
Paul rechigne et Paul s’acharne
Pour ses clients, pour le service au public
Paul s’essouffle,
Son portefeuille grossit tandis que son envie s’amoindrit
Paul soupire, Pôle empire
La situation est difficile, la pression est forte
Alors Paul s’énerve, Paul se bat
Pôle se met en grève mais
Paul ne baisse pas les bras
Pour les demandeurs qu’il suit par ce que c’est un professionnel
Paul y croit, Paul s’accroche
Paul se forme, Paul s’informe
Pôle se mixe
Paul apprend
Paul se surprend à parler d‘argent
Et Paul recommence, il s’adapte
Dans ce Pôle qui se construit pas à pas
Pôle emploi
Le lai de la vieille précaire (Anne Onima)
Le conseiller de Pôle emploi la regardait arriver, un bienveillant sourire aux lèvres.
Elle était gris souris, des cheveux au tailleur strict et masquillage précaire assorti.
Serrant sur son cœur son dossier d’inscription, elle le salua d’une petite voix
Et lui tendit sa convocation
Raymond Sophie, lut-il, asseyez-vous, je suis Paul Sergent, votre conseiller référent.
Gênée par cette inversion administrative, qui dit le nom avant le prénom
Elle avait rectifié « Sophie Raymond », presque involontairement
Négligeant l’interruption, il consultait sur l’écran son dossier, et sans la regarder
Tirait le bilan de ce qu’il lisait.
« Rédiger un CV », « trouver des offres et y répondre », « rédiger une lettre de réponse »,
Et encore « cibler vos entreprises », « vous familiariser avec les tests de recrutement »….
C’est une carte de fidélité, qu’il faut vous remettre ! Vous les avez tous faits, nos ateliers !
Resterait bien « communiquer par son image », mais celui-là, je vous l’épargnerai…
Unissons nos efforts, faisons le point et dites moi ce qui ne va pas !
Tout à trac, elle souffla « Qui voudrait d’une vieille chose comme moi ? »
Elle avait de grands yeux pleins de larmes. Il s’étonna de les trouver beaux.
Une défaitiste ! Ah, non ! Allons, allons, Madame Raymond ! Reprenez-vous !
Regardez cette offre, ça ne vous plairait pas de travailler pour nous ? Un CDD pour commencer….
Elle fut surprise. J’étais hôtesse standardiste, je n’ai jamais travaillé sur une plateforme.
Si ce n’est que cela, ne vous inquiétez pas regardez bien : « débutants acceptés »
Toujours joyeusement, il composa un numéro de téléphone. Il avait mis le haut-parleur.
Une candidate formidable pour ta plateforme, Jean-Louis ! Je t’ai envoyé son CV !
Non mon grand ! Ça ne va pas ! Je veux une équipe jeune, pas une maison de retraite !
Prestement, mais trop tard Paul Sergent avait coupé le haut-parleur.
Il était tout rouge. Confus. C’est un malentendu… Elle était blanche, tétanisée.
Le jour suivant, il la rappelait « J’ai du nouveau pour vous, un contrat d’avenir ! »
La voix de Sophie Raymond tremblait d’émotion. A son âge, on lui offrait l’avenir…
Elle eut un poste sur la plateforme du 39-49, loin de chez elle, elle était secrétaire, mais
Une fois ou deux, pour dépanner, elle prit les appels, sa voix apaisait les plus impatients.
Reconnaissant ses talents, on lui demanda de le faire de plus en plus souvent. Sans formation.
Désormais, elle prenait les appels tous les jours. Dur. Le soir elle buvait un petit coup.
Elle entendit, lors d’un pot de départ, son chef, Jean-Louis, murmurer « épave » à sa vue.
Pour ses petits collègues en CDD, elle envoyait chaque matin un courriel sur fond rose.
« A tous, GD Chamalow, kikenveu ? » ou encore « Or J 2 frêz tagada a la poz ! »
Vint la fin du contrat d’avenir. Elle retourna voir Paul Sergent. Qui la reçut joyeusement.
Et un Contrat Unique d’Insertion sur la plateforme du 39-95 ? Ça ne serait pas bien ?
Sur les écrans du 39-49, le matin suivant parut, rouge sang, le dernier message de Sophie.