En Suède, Arbetsförmedlingen représente à lui seul de 8 à 9% des dépenses de l'Etat
Les Echos 19 janvier 2011
La Suède vante un taux de chômage en forte baisse. Le retour à un rythme de croissance soutenu en 2010 n'explique pas tout. Les réformes engagées depuis 2006 commencent à porter leurs fruits. Le « modèle suédois » s'adapte, mais ne casse pas.
Camilla est une ravissante Suédoise d'âge moyen. Mariée, deux fils indépendants, elle habite Stockholm dans un quatre pièces loué 7.000 couronnes par mois (près de 780 euros). Son mari travaille. Dès qu'elle le peut, elle passe ses vacances dans l'Hexagone. Une vie paisible et sans histoire, jusqu'à il y a deux ans et demi. Dotée de l'équivalent du bac, elle était alors employée dans une agence de pub où elle remplaçait une collègue partie en congé maternité. Arrive la crise. La Suède n'est pas épargnée par la tornade financière. Le pays plonge dans la récession en 2009 (- 4,9 % du PIB). Le taux de chômage s'envole dangereusement au-dessus des 9 %. Comme un grand nombre de ses compatriotes, Camilla perd son emploi. « Mon niveau bac est un problème ; ce n'est pas suffisant », avoue-t-elle. Elle doit donc prendre le chemin de l'Arbetsförmedlingen, l'agence pour l'emploi locale. Un chemin virtuel car son inscription sur les listes de l'organisme se fait entièrement sur Internet. Un mois plus tard, elle a reçu ses premières indemnités : d'abord 12.500 couronnes (moins de 1.400 euros), puis, après six mois, 10.500 couronnes (près de 1.200 euros) non dégressives.
Une prise en main quasi immédiate
Camilla restera sans emploi pendant deux ans. Mais pas question pour elle et pour les fonctionnaires de l'Arbetsförmedlingen de subir passivement la situation. La prise en main par les services du Pôle emploi suédois est presque immédiate. A peine une semaine, et Camilla a son premier rendez-vous dans l'un des plus gros bureaux de l'Arbetsförmedlingen de la capitale, dans le centre de Stockholm, où travaillent plus de 100 conseillers très motivés par leur mission. « Notre organisation est flexible et efficace. Les employeurs viennent chez nous quand ils veulent recruter », affirme fièrement Jihad Adlouni, un Suédois aux racines moyen-orientales, diplômé d'ingénierie aux Etats-Unis et chargé des contacts avec ses collègues européens. « Neuf dixièmes des employeurs qui s'adressent à nous se déclarent satisfaits d'après nos enquêtes indépendantes réalisées chaque mois », enchaîne Angeles Bermudez-Svankvist, une quinquagénaire d'origine espagnole à la tête de l'Arbetsförmedlingen depuis 2007, après avoir dirigé l'un des plus gros hôpitaux publics de la capitale.
Mais cette fois la crise a duré longtemps. Dans la période la plus difficile, l'économie suédoise a produit 20.000 nouveaux chômeurs de plus par mois, indique la directrice générale.
Dans ce contexte, Camilla multiplie les rencontres mensuelles de trente à quarante-cinq minutes chacune avec le conseiller chargé de son cas. Lors de ces entretiens, on lui demande de détailler ses démarches pour retrouver du travail. Ses efforts sont vains. L'Arbetsförmedlingen décide alors de passer à la vitesse supérieure. Tout d'abord, on lui finance intégralement un stage de trois mois chez Nespresso. « Une expérience enrichissante, qui m'a permis de reprendre contact avec le monde du travail et de retrouver un peu de confiance en moi », commente Camilla, satisfaite d'avoir trouvé elle-même cette formation en entreprise. Ce stage chez Nespresso va représenter un tournant pour elle...
Le conseiller de l'Arbetsförmedlingen estime qu'elle est prête pour prendre son destin en main. Camilla a un projet : faire de la décoration intérieure en étant son propre employeur. L'expert du bureau de la rue Tunnelgatan lui propose une formation intensive de créatrice de microentreprise, dispensée par un institut spécialisé privé. La formation s'achève sur une évaluation sans concession, qui établira s'il faut qu'elle poursuive sur cette voie.
Un système au bord de l'asphyxie
L'histoire de Camilla, c'est, en raccourci, celle de la formidable transformation qu'est en train de vivre le désormais fameux « modèle suédois »... « L'idée est de transformer la Suède, dont la cohésion sociale est assurée par la protection sociale, en un pays où c'est le travail qui remplit ce rôle », résume Angeles Bermudez-Svankvist. Si la crise, puis la reprise de 2010 ont servi de déclic, la refonte était déjà à l'oeuvre depuis plusieurs années. Avant d'être réformées en 2006 par un gouvernement de centre droit, dont la coalition a gagné les dernières élections politiques à l'automne 2010, la protection sociale et l'organisation du marché du travail à la suédoise faisaient face à de grandes difficultés. Fin 2005, la dette publique suédoise avait atteint 1.309 milliards de couronnes (environ 145 milliards d'euros), soit près de la moitié du PIB. Et la courbe n'en finissait pas de grimper. Pour autant, pas question pour le nouveau gouvernement d'augmenter les prélèvements, déjà proches de 60 % des revenus. Le « modèle suédois » était alors menacé d'asphyxie. Il était aussi de moins en moins efficace. Sur une population de 9 millions d'habitants, la Suède a compté jusqu'à 550.000 personnes dites « diversement habiles », sorties complètement du marché du travail et bénéficiant d'une pension. A celles-ci, il fallait ajouter environ 200.000 personnes en longue maladie, dont la plupart étaient des femmes en milieu de carrière, issues du secteur public, estime Anders Forslund, un professeur des universités qui codirige l'Institute for Labour Market Policy Evaluation (IFAU), le plus prestigieux think tank du pays en matière d'emploi.
Dès son arrivée aux affaires, le 6 octobre 2006, le nouvel exécutif engage des réformes d'ampleur. Objectif : remettre les Suédois au travail sans casser le solide filet de protection sociale. Pour cela, le gouvernement décide d'actionner deux leviers : il s'agit de réduire la pression fiscale sur les travailleurs aux salaires les plus faibles, tout en diminuant les indemnités de chômage et les allocations maladie. Pour contrer le chômage des jeunes, particulièrement élevé en Suède (environ 20 % des 16-25 ans) du fait de l'inscription massive des étudiants sur les listes de demandeurs d'emploi, l'équipe du Premier ministre actuel, Fredrik Reinfeldt, introduit un contrat jeunes donnant aux employeurs le droit de licencier dans les deux ans qui suivent l'embauche. Les réformes engagées tombent à pic. Car, deux ans plus tard, lorsque survient la crise, le marché du travail suédois est en ordre de marche. Et encaisse les coups sans trop de dégâts. Le taux de chômage augmente peu comparativement au plongeon de l'économie. A 6 % de la population active au troisième trimestre 2008, il était encore proche de 9 % en avril dernier. Puis, grâce aussi au vif rebond de l'activité, il a entamé une descente rapide vers les 7 %. Aux yeux d'Anders Forslund, « les nouvelles politiques de l'emploi ont créé un terrain favorable pour accroître le taux d'activité des Suédois ». « Nos réformes devraient accroître l'emploi stable de quelque 140.000 unités dans les années à venir », estime pour sa part la ministre de l'Emploi, Hillevi Engström. « Les réformes n'ont pas seulement un impact sur l'emploi. Elles ont également réduit le nombre de congés maladie et augmenté les heures travaillées de ceux qui sont à leur poste », poursuit-elle. De fait, le nombre des salariés en longue maladie a été divisé par deux, et environ 50.000 personnes « diversement habiles » ont trouvé une occupation.
« Coaching » et formations pratiques
Pour compléter le dispositif, le gouvernement a procédé en 2010 à une réorganisation de l'Arbetsförmedlingen, qui ne convainc pas tout le monde. Notamment pas l'organisation patronale Confédération de l'entreprise suédoise, qui souhaitait plutôt l'émergence d'un concurrent privé, face à la très puissante agence. Désormais centralisé à l'échelle nationale, l'Arbetsförmedlingen doit se charger du « coaching », de la formation pratique et théorique des adultes et du grand chantier de l'emploi des immigrés, qui représentent en Suède environ 17 % de la population. En moyenne, les ressortissants de pays extérieurs à l'Union européenne mettent environ sept ans avant de trouver un premier emploi. Et ce n'est pas à cause de la barrière linguistique. Les cours de suédois sont accessibles, gratuits et répandus. Depuis le 1 er décembre, les réfugiés politiques - très nombreux en Suède -doivent impérativement passer par la case emploi. Ce n'était pas le cas jusque-là, car ils bénéficiaient des indemnités de chômage dès leur acceptation sur le sol suédois. « Nous avions un problème d'attitude vis-à-vis des immigrés : avant, on se limitait à les aider et à les assister. Maintenant, nous avons changé d'approche : il faut d'abord qu'ils se mettent au travail », explique Angeles Bermudez-Svankvist. La multiplication des tâches de l'Arbetsförmedlingen ne va cependant pas sans un important effort financier. « Notre agence représente à elle seule de 8 % à 9 % des dépenses de l'Etat. C'est le poste le plus important du budget », souligne la patronne de la structure. Il n'en faut pas moins pour s'attaquer au noyau dur du chômage suédois, qu'il soit explicite ou déguisé : celui qui frappe les moins qualifiés, les plus âgés, les femmes, les immigrés et une petite minorité de jeunes en échec scolaire précoce. La partie est difficile, mais les Suédois semblent bien armés pour la jouer.